Les fées dans l’art

Amies de longue date, Virginie Barsagol et Audrey Cansot se sont rencontrées en classe préparatoires. L’une a suivi la voie littéraire et est devenue prof de lettres, et l’autre s’est tournée vers un cursus en cinéma. Aujourd’hui chroniqueuses pour le site Actusf, elles écrivent également chacune pour d’autres sites et revues. En avril dernier, elles ont sorti un ouvrage intitulé « Le guide des fées, regards sur la femme », l’occasion pour nous de faire le point avec elles sur la place des fées dans le monde artistique.

Pouvez-vous nous parler de votre livre « Le guide des Fées », comment vous est venue l’idée d’un tel ouvrage ?

Nous avions envie de retracer l’évolution du personnage de la fée au fil des siècles, de comprendre comment se dessine sa complexité dans le patrimoine littéraire et artistique. En effet, derrière l’étiquette de la « fée » se cachent des représentations qui peuvent paraître antinomiques au premier abord : la fée Clochette, Viviane, Carabosse… Toutes rangées derrière le même vocable, mais on sent bien que ces personnages sont très éloignés !
Partant de là, on s’est amusée à tenter de saisir les contours du personnage et le « pourquoi » de l’évolution de ses représentations.

Le livre se présente sous forme d’un guide qui propose des fiches, pourquoi avoir choisi ce format ?

Notre ouvrage a une vocation pédagogique. Le système de fiches, allié à un parcours chronologique, permet différents modes de circulation : le guide peut être lu d’un bout à l’autre, comme un voyage dans l’univers des fées, mais il peut aussi être consulté par à-coups.
Si un lecteur veut se renseigner sur Mélusine, il va se diriger vers la fiche qui lui est consacrée au Moyen-âge, et consultera les renvois qui figurent en fin de fiche afin d’approfondir son approche : le voilà par exemple invité à retrouver un autre visage de la fée au début du 20ème siècle chez André Breton dans la fiche correspondante, mais aussi à aller lui-même puiser dans toutes références bibliographiques indiquées : il saura dans quelles œuvres littéraires, artistiques ou même musicales retrouver Mélusine….

Nous souhaitions que la lecture offre une véritable navigation à l’échelle du livre. C’est une lecture dynamique, interactive !

Vous partez de l’Antiquité pour arriver jusqu’à notre époque, comment vous êtes-vous documentée et combien de temps cela vous a-t-il demandé ?

Nous avons travaillé deux ans sur le guide, et la phase de documentation a pris environ un an. Mais les phases ne sont pas forcément cloisonnées : lorsque nous étions en écriture, des recherches complémentaires s’imposaient parfois ! Nous avons une approche universitaire, aussi nous avons fonctionné comme pour la rédaction d’un mémoire : panorama des travaux effectués sur le sujet pour pouvoir construire notre approche et ne pas tomber dans la redite, lectures des textes littéraires et de la critique universitaire….et de très très nombreuses discussions, hypothèses, interrogations !!

Pour vous, qu’est ce qu’une fée ?

Et bien, au regard de tout le parcours effectué, la définition de la fée embrasse bien des aspects ! Elle est l’incarnation d’une féminité duelle entre figure maternelle et figure d’amante, est aussi dotée d’une grande puissance avant tout parce qu’elle est dès les origines celle qui tisse le fil de la vie et celle qui le coupe, elle a le pouvoir d’offrir des dons à l’enfant naissant…
Ce qui ressort ainsi en plus haut lieu, c’est son rôle de créatrice de vie, de destinée, et dès lors d’histoires… Elle est alors parfois une image de l’écrivain ou de l’artiste. Pas étonnant qu’elle ait autant fasciné l’un et l’autre!
Ensuite, nous avons rencontré beaucoup de fées dont l’existence même est une provocation pour la société dans laquelle- ou en marge de laquelle- elles évoluent car elles font preuve de libre arbitre, telles ces fées des lais du Moyen-âge ou Morgane qui proposent une micro société régie par des lois inédites ou récusées par la société féodale.

Le mode de vie des fées est souvent riche d’enseignements !

Le livre s’appelle « Le guide des Fées – Regards sur la femme », pourquoi ce sous-titre ? La femme est-elle une fée, ou inversement ?

La fée est toujours une incarnation d’une certaine vision de la femme, qui diffère évidemment selon les époques et les sociétés données : au 17ème siècle, par exemple, les conteuses de Versailles brossent leur autoportrait fantasmé à travers les personnages de fées qu’elles mettent en scène : les fées sont de véritables précieuses ! Au Moyen-âge déjà, Adam de la Halle présentait des fées embourgeoisées, aux querelles de mégères dans Le Jeu de la feuillée, opérant une critique sociale… C’est au 20ème siècle que la dynamique change un peu : la fortune de la fée déjà bien assise, les créateurs se servent des attributs féeriques pour sublimer la femme, en particulier au cinéma. C’est l’amphibologie féerique !

Quelle est, aujourd’hui, la place des Fées dans notre culture et plus précisément dans l’art contemporain ?

On ne note pas particulièrement de regain d’intérêt pour la fée aujourd’hui, disons que l’intérêt est proportionnel à celui qui est porté au merveilleux en général. Pour ce qui est de l’art contemporain, nous n’avons pas exploré ce champ, il fallait faire des choix ! Mais ce serait intéressant d’y accorder des recherches pour un article…

Quelle est votre fée « préférée » ?

Viviane est une fée fascinante : elle oscille entre Eros et Thanatos, et Jean Lorrain, à la fin du 19ème siècle, en a parfaitement montré la folie et la complexité.
Et puis il y a aussi La fée du midi de Jean de Préchac dans la Reine des fées. A la base, fait rarissime, elle était une femme… une princesse qui fut donc « canonisée » fée grâce à sa bonté et son intelligence. Elle s’est formée en regardant les astres depuis le pic du Midi dans les Pyrénées, puis est ensuite devenue une instance de référence  pour tous les  royaumes,et les ambassades du monde entier viennent la consulter dans sa grotte…

Selon vous, quelle est la plus belle représentation féérique, celle qui vous a le plus touchée, la plus esthétique ?

Sur notre blog que nous alimentons régulièrement avec des extraits de film , des textes et des peintures concernant les fées, vous trouverez un très beau dessin de La reine Titania (Le songe d’une nuit d’été) par Arthur Rackam

Nous pouvons aussi citer la bonne fée de Gustave Moreau, ce n’est peut-être pas la plus belle, mais la représentation entre en dissonance avec le titre ! Voilà une « bonne » fée juchée sur un dragon ailé, toute puissante, presque effrayante ! Se méfier de la bonne fée…. Et puis Gustave Moreau, hein, le génie absolu, qui a encore une fois tout compris !

Quels sont vos prochains projets ?

Sûrement une autre écriture à quatre mains, mais pas forcément dans le domaine de la féerie !

En conclusion et pour reprendre le fameux libre arbitre de la fée: Think different, think like fairies !

Virginie Barsagol et Audrey Cansot, la Rédaction de Lartino vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé et rappelle que votre livre « Le guide des fées, regards sur la femme » est disponible à la vente depuis avril aux Editions ActuSF, collection Les Trois Souhaits.

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