Rencontre avec Michel Schetter

Né en 1948 en Belgique, Michel Schetter est auteur de bandes dessinées, mais aussi peintre et illustrateur. Après un bref parcours dans l’enseignement et dans le milieu bancaire, qu’il décrit comme des années « de souffrance et de pénitence », il dit « adieu au costume cravate, et …vive la liberté artistique ! » Zoom sur un personnage haut en couleurs…

Bonjour Michel Schetter, pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Après quelques ébauches pour le journal Spirou, une collaboration plus importante pour le Journal Tintin m’a permis de proposer de courts récits historiques en bandes dessinées, clôturés par la sortie d’un album, en 1982, aux éditions du Lombard : «Les Années de Feu». (Scénario+dessins+couleurs).

Ensuite, j’ai réalisé trois fictions de BD : «La Dernière Auberge», «Le Château d’Ichor» et «Le Boulevard de Marilyn »; ce qui m’a permis de préparer et d’entamer la grande aventure des séries CARGO et BERLIN, prépubliées dans le magazine Circus, du groupe Glénat. Ce fut un succès éditorial.

J’ai récupéré tous les droits de mes travaux et j’ai entamé en 1990, sous mon label d’édition, très indépendant, une réédition intelligente, retravaillée, de la série Cargo ainsi que la création d’une nouvelle collection de bandes dessinées : YinYang.
Travail innovant, sept fictions indépendantes, sans héros, …au sens mythique du terme! Des récits denses, qui s’intègrent dans des contextes historiques, et géographiques, rigoureux ! J’ai mis a profit mon amour pour l’histoire, et la reconstitution de cadres, afin de servir une ambiance.

Outre ces labeurs, il y a eu la parution d’un nouvel album de CARGO, en 2004 : « L’Octopus de Venise ». Un beau succès éditorial, malgré les contraintes d’une autodiffusion, corsetée dans un marché largement noyauté par des grands groupes éditoriaux. Où les règles d’un marché, sensé être protégé par la loi Lang sur le prix du livre, s’avère, en réalité, largement contourné par des intermédiaires, peu scrupuleux.

Cette approche du terrain éditorial, en parcourant ces pays, ces régions, multiplie les rencontres, les anecdotes, bon terreau pour d’autres histoires, plus vraies qu’inventées !

Cette vie, ces passions, je les ai relaté, avec sincérité, en 2005, dans un récit autobiographique :      « Sabre au Clair »
…Pas simple de lutter contre des monopoles de diffusion. Ni d’affronter, seul … certains réflexes de regroupement !

Qu’est ce qui vous a donné envie de vous tourner vers la BD ?

Ce qui m’a donné l’envie de raconter des « histoires », c’est l’envie d’exister suite au décès prématuré de mon père. Je me suis retrouvé à 13 ans dépouillé d’un tuteur naturel, de mon arche paternel.
Devoir se débrouiller dans un contexte familial peu propice à l’engouement artistique, n’était pas évident. J’y suis allé, le crayon entre les dents. A l’écoute de professionnels, comme Hergé, Franquin, Greg.

Une époque où l’enthousiasme était centré autour du papier, des idées personnelles, à mille lieues d’un marketing outrancier comme ce que nous vivons aujourd’hui.
Maintenant, hélas, la surproduction a tout envahi. Ce ne sont plus des éditeurs, mais des managers internationaux. Je n’imagine pas l’éditeur du Lombard, gérant une équipe de rugbymen… !

Quels conseils donneriez-vous à des personnes souhaitant se lancer dans la bande dessinée ?

Quels conseils puis-je donner à de jeunes auteurs de BD ? D’oublier l’ordinateur, leurs logiciels, pour réapprendre un métier à l’ombre des crayons et des pinceaux.
D’oublier le Japon et ses contes d’horreur ou de fée, pour innover vers d’autres voies, sans école ni horizons pré formatés.

Y a-t-il encore un avenir dans la BD ?

Peut-être.
Ou alors, ce métier ira vers d’autres univers, nourris d’animations, de 3-D et d’inventivités nouvelles.
J’écoutais le philosophe Michel Serres, grand amateur de Tintin, académicien et enseignant, notamment, parlant de son travail d’académicien autour du dictionnaire de la langue française.
Globalement, un labeur s’effectuant tous les 20 ans. Traditionnellement, trois mille nouveaux mots apparaissaient ou disparaissaient suite aux évolutions de la langue courante. Hors, pour les vingt dernières années, ce ne sont point trois mille apparitions et disparitions, mais trente-cinq mille ! Essentiellement, de nouveaux mots liés à l’apparition ou à la disparition de métiers. Sans qu’il soit nécessairement issu de la langue anglaise.

Je suis donc favorable, pour l’avenir des jeunes, à un apprentissage de culture générale, associé à l’écoute des technologies qui n’oublierait pas l’usage de la main. Et surtout, de l’originalité.

L’avenir sera nécessairement différent, innovant. Et tant mieux.

A ce titre, le dernier festival d’Angoulême répond bien aux défis de demain. En honorant Jean Van Hamme, on consacre une BD liée au marketing commercial.
En consacrant Art Spiegelman, l’auteur de Maus, on rappelle aux lecteurs d’aujourd’hui, qu’il existe encore une voie pour l’audace, l’originalité, l’émotion sincère.
L’éternel combat entre la Rolex et la baguette artisanale!

Vous êtes également illustrateur … de voitures, pouvez-vous nous en dire plus ?

Parallèlement à mon activité d’auteur BD, j’ai voulu sortir de mon passé les voitures d’hier, en les illustrant dans un cadre poétique. Pour oublier les vapeurs malodorantes, l’insécurité routière du passé, recréer candidement l’aventure de quelques pionniers de l’automobile.
Avec des références à Hergé, Franquin, Tillieux, qui ornaient leurs chapitres de BD, de chevaux mécaniques. La turbotraction, la 2cv des Dupont, le solex de Jerôme K Jerôme Bloche, la Lincoln d’Haddock, l’Aston Martin de James Bond. Notamment.
Ainsi, je reliais mon métier à l’univers de mon père, qui vendait ses belles américaines, aux accents de V8.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous tourner vers la peinture ?

La peinture ! Fin 2006, en pleine réalisation d’un CARGO, « Alvise et Elvis », j’ai ressenti un grand coup de fatigue, vis-à-vis du métier.
Plutôt que de produire, pour produire, j’ai voulu quitter le port en demeurant honnête, pour naviguer là où de nouveaux rêves m’attendaient. J’ai remisé les 24 planches de cet album, les crayons.
Comme j’étais aussi coloriste, j’ai œuvré avec enthousiasme vers de nouveaux horizons, essentiellement picturaux. Sans omettre qu’une peinture raconte une histoire. Et encore une histoire. Le mystère, au-delà d’une première visualisation !
Je n’y suis pas parti à l’abordage. Mais comme un écolier, à l’écoute humble de ses ressentis !
J’ai tout d’abord peint des toiles représentant des… voitures, pour m’en libérer quelque peu, m’enhardir, et cheminer vers d’autres univers colorés, qui nourrissent à foison ma créativité.

Comment définiriez-vous votre style ?

Mon style est figuratif, d’une école belge dite de Bruxelles.
Avec, pour valeur, Hergé, Jacobs. Autodidacte, point rangé des voitures, oserais-je ajouter.

Vous exposez prochainement ?

J’ai produit une cinquantaine de toiles, dont on peut voir un aperçu sur mon site Internet, www.michelschetter.com dans les rubriques « galerie de l’atmosphère », et « galerie de l’automobile ».
Je ne me précipite pas pour exposer. J’attends de saines propositions auprès de grands galeristes. Je suis patient, l’âge venant.

Pour finir parlons de vos goûts …

Mes goûts, pour les résumer, ce serait une potée dans laquelle on réunirait Hergé, Kubrick, Brel, …Kristin Scott Thomas, pour souligner mes appétits de la grâce féminine.
Mâtin ! Que de beaux panoramas !
Que de belles perspectives.

Un petit mot pour conclure ?

Depuis 1974, j’ai travaillé à l’instinct. En écoutant mon cœur, à l’écoute de ma vie, de mes émotions. Observateur des sociétés, de l’histoire. Ses blessures, ses joies, ses trahisons, ses aspirations.
Le monde est passionnant. Sous condition de ne point y vivre enchaîné. Les grands financiers de notre planète feraient bien de s’alerter sur les conséquences de leurs dérives.
Que les jeunes de demain sortent de leurs écrans fictifs, pour se diriger vers les fenêtres de la vie, en osant aérer nos univers hors les sentiers du productivisme absolu.
L’avenir sera dans l’évolution du bien-être de chacun ou ne sera pas.
Gardons-nous des gardiens de toutes les religions. De la foi comme du saint-fric.

Michel Schetter, la Rédaction de Lartino vous remercie d’avoir pris le temps de répondre à ses questions et invite ses lecteurs, pour plus d’informations, à consulter votre profil sur Lartino.

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