» Picasso / Manet : Le déjeuner sur l’herbe » – Musée d’Orsay (75)

« Quand je vois Le déjeuner sur l’herbe de Manet, je me dis des douleurs pour plus tard » – Picasso (1932). Cet écrit de l’artiste est intrigant puisqu’il nous montre dès lors son projet de reprendre et d’ébaucher l’ensemble du tableau scandaleux de Manet.

C’est autour de cette trame que se noue l’exposition présentée par le Musée d’Orsay jusqu’au 1er février 2009. En effet, c’est toute la carrière de l’artiste espagnol Picasso qui est célébrée dans trois des musées parisiens les plus importants.

Cependant, le musée d’Orsay a choisi  un parti pris bien particulier et original : mettre en avant l’un des travaux les plus « découpés » et les plus « acharnés » de l’artiste. Le peintre était réputé pour son caractère franc et outrager, à ne pas se laisser faire et à avoir beaucoup d’idées derrière la tête. Cela n’étonna donc guère qu’il puisse s’intéresser à l’une des œuvres les plus scandaleuses de l’époque « Le déjeuner sur l’herbe » de Manet (1863).

Pourquoi un tel scandale ? La toile de l’artiste provoqua des remous au sein du salon des Refusés. Manet était semble-t-il perçu comme un « maître moderne », il était volontairement subversif et abordait des thèmes parfois en avance sur son temps. Ce nu était provoquant, cette femme se trouvant dénudée au milieu d’un pique-nique en pleine campagne, autour d’hommes vêtus, questionnant ainsila sexualité, la sensualité et la place de la femme au XIXe siècle.

Picasso saisit alors en 1950 l’opportunité de se confronter à l’œuvre du maître. Il l’observa, la reproduisit, la disséqua, la dessina. Il effectua des variations autour du sujet et des thèmes. Objet de son obsession, la femme fut ainsi déformée, grossit, mincit, ses formes presque abstraites, telles des arabesques.

En 1954, Picasso saisit, réinterpréta l’œuvre à travers quelques croquis tels que Etude d’après « Le déjeuner sur l’herbe », buste des quatre personnages. Il s’ingénia à dessiner, prenant pleinement possession de l’œuvre sans chercher spécialement à y amener quoique ce soit. Il voulait juste faire parti intégralement de la toile, des éléments du petit théâtre humain.

En 1960, Picasso réorchestra totalement différemment l’ensemble. Il y introduisit de la couleur, changea le thème central de l’œuvre, et en fit à lui seul une création à part entière, différente de celle de son aîné. Picasso revint à Manet en 1961. Ses personnages semblaient se mouvoir, grossissaient tels des ballons, n’avaient plus de formes humaines, ne ressemblaient qu’à des amas intrigants. Parfois petite, parfois grande, tantôt grosse, tantôt maigre, le peintre se joua de nous et trompa notre regard et notre impression, notre sentiment sur cette nouvelle Victorine qui s’offrit à nous.

Mais Picasso ne s’arrêta pas là. Il créa aussi des gravures, des plaques en céramiques, des cartons découpés, pour représenter à nouveaux les personnages « autrement ». Afin de reprendre le plein air exprimé par Zola à l’époque, il construisit des maquettes cette fois-ci « en plein air » et pour de vrai.

Il peignit aussi une série dans des tons très verts, très bleutés, amenant à une réelle confrontation et dissonance avec l’œuvre première, installée elle-même au milieu des créations de Picasso.

Cette exposition nous montre alors la rupture causée entre modernité et tradition dans une relecture totale d’une œuvre déjà controversée. Picasso mêla à merveille invention et émotion en recréant à sa façon, l’œuvre du maître, précisant ainsi que l’alliage de plusieurs temps contribue à l’expression contemporaine de notre époque.

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