Agnès Jaoui sort un nouvel album « Dans Mon Pays »

Le deuxième album d’Agnès Jaoui s’intitule Dans Mon Pays. A nouveau réalisé par Vincent Segal et interprété en espagnol et portugais, cet album comporte également deux chansons en français, des duos avec les artistes Bonga et Camané et avec les musiciens Roberto Gonzales Hurtado, Dimas md et Antoine « Tato » Garcia.

Il y a les pays réels que l’on ne choisit pas, ceux où l’on naît, grandit et s’éteint, entités aux limites physiques bien définies, au poids historique incontestable et aux identités plus ou moins affirmées. Et puis il y a les pays imaginaires et mouvants que l’on crée au dedans de soi, et qui se transforment au gré des valeurs, des passions et des goûts qui en redessinent sans cesse les limites.

Avec son premier album, Canta (2006), Agnès Jaoui avait ainsi tracé les contours d’un territoire intime, dans lequel s’exprimait librement son amour ancien pour les musiques cubaines, portugaises, brésiliennes, argentines ou andalouses. Il ne dévoilait certes qu’en partie la vaste carte du Tendre de cette mélomane curieuse et vagabonde, qui depuis l’enfance a étendu son champ d’écoute bien au-delà de la seule sphère latine – de l’art lyrique a la chanson française et aux traditions orientales. Mais il en cernait en quelque sorte le cœur, le foyer ardent : c’était là, dans ces mélodies sentimentales nées sous le soleil d’un Sud sans frontières, que la voix d’Agnès Jaoui se sentait le plus chez elle. C’est là qu’elle se pose aujourd’hui encore dans l’album Dans mon pays, poussée par le désir de franchir quelques échelons supplémentaires dans l’ordre de la volupté.


La jubilation de l’acte musical, Agnès Jaoui la trouve dans le partage. La notion d’aventure collective, déjà essentielle dans Canta, gagne une dimension supplémentaire avec Dans mon pays, qui ne porte pas par hasard la Co signature de son groupe, le Quintet Oficial. Avec les musiciens qui l’entourent, Agnès Jaoui ne se met jamais dans la peau d’une diva souveraine, régnant d’une main de fer sur un quarteron d’accompagnateurs à ses ordres : tout, chez elle, se construit dans la mise en commun d’expériences, l’échange des sentiments, les transmissions de pensée.

Une approche ouverte et généreuse que la scène ne pouvait que renforcer. « Les tournées qui ont suivi Canta ont nourri ce disque, dit-elle, ne serait-ce que parce qu’on joue mieux ensemble. Une sédimentation s’est faite, une base s’est créée, c’est super agréable pour tout le monde : avant, c’était plus aléatoire, plus accidentel. Avec Dans mon pays, j’ai voulu affirmer cette idée de plaisir collectif, insister sur le fait que les musiciens étaient encore plus partie prenante du projet. dès le départ ils étaient  essentiels, je ne me serais pas lancée dans cette aventure, sans la 
plupart d’entre eux »

La plupart des complices déjà présents sur Canta figurent aujourd’hui au générique de Dans mon pays : le violoncelliste volant Vincent Segal, à nouveau responsable de la direction artistique, le guitariste et tresero cubain Roberto Gonzalez Hurtado, qui donne également de la voix sur une romance de son regretté compatriote Polo Montañez (Amor e distancia), sur le standard Todo Cambia et sur une composition née de sa plume (Amor fantasma), le contrebassiste Eric Chalan et le percussionniste Maurice Manancourt. A cette théorie de fidèles s’ajoute le compositeur, arrangeur et multi-instrumentiste argentin Fernando Fiszbein. Habituée des sphères savantes de la musique contemporaine et concrète tout en étant branchée sur les expressions populaires, sa sensibilité panoramique et éclairée était vouée à s’accorder avec l’esprit passe-murailles d’Agnès Jaoui. Avec cet équipage cosmopolite, auquel se joignent également le flûtiste espagnol Juan Carlos Aracil Sala (du groupe Elbicho) ou le chanteur catalan Antoine « Tato » Garcia (de la formation gitane Kaloomé, présent sur deux titres), Dans mon pays ne pouvait que prolonger les chemins de traverse dégagés par Canta.

Sans rien surligner, avec une justesse de ton de tous les instants, il affirme un peu plus cette volonté de connecter des univers voisins – son et flamenco, bossa et fado, salsa et samba… – que l’intransigeante logique des puristes aurait plutôt tendance à séparer. « Dans l’esprit, le purisme et le dogmatisme m’ennuient à mourir. Et je suis d’autant moins tenue de m’y conformer que j’en serais de toute façon incapable ! La fusion très douce que l’on fait, les éléments hétérogènes qu’on apporte dans notre musique, créent de l’air frais. C’est plus ou moins du goût de tout le monde, mais ça permet aussi à des gens d’entrer dans des cultures musicales qu’ils n’aimeraient pas forcément. »


Cette esthétique volontairement impure, qui n’est jamais que la transcription musicale d’une vie rétive à toute forme d’enfermement et de rigidité, Agnès Jaoui la porte plus que jamais comme une seconde peau, un habit porté près du corps et du cœur. Modelée par les cours d’art lyrique qu’elle suivit dès l’adolescence et assouplie par les nombreux concerts qu’elle a donnés ces dernières années, sa voix mate et vibrante se love avec aisance dans les replis mélodiques de chansons empruntées aux plus grands couturiers du monde latino : une confession frissonnante de Raúl Paz (Cuando me faltas tú), un son virevoltant d’Edison Pullas Villaroel (Manantial), une ballade du bon génie brésilien Chico Buarque (Olhos nos olhos), une valse ébouriffante du roi de la música criolla péruvienne Arturo Zambo Cavero (Nuestro secreto), un flamenco brûlé de l’intérieur des Madrilènes d’Elbicho (Letras) ou un hymne jadis immortalisé par la divine Mercedes Sosa (Todo Cambia). Cette liberté d’interprétation et de mouvement, Agnès Jaoui la pousse jusqu’à proposer pour la première fois deux textes en français (Dans mon pays, écrit avec Michel Leclerc sur une musique de Fernando Fiszbein, et la valse Sur le pont de l’Alma mía, signée et chantée avec le guitariste Dimas md), qui contribuent à réintégrer la langue de chez nous dans le domaine latin. « J’avais aussi envie qu’il y ait plus de création que dans le premier album, explique-t-elle. Je pense toujours que je n’ai pas ce savoir-faire, ce don d’écrire des chansons en français, mais je me suis décomplexée. C’est en tout cas le début d’un chemin. »

Dans mon pays accueille enfin deux visiteurs lusophones de haut rang : la légende angolaise Bonga, qui frotte sa voix de rocaille contre les harmonies froissées de sa chanson Dikanga, et le fadiste lisboète Camané, dont le chant enivrant comme un alcool fort vient irriguer A cantar e que te deixas levar. Deux géants aux côtés desquels Agnès Jaoui, déjà honorée par les présences de Misia, Maria Bethânia ou Elbicho sur son premier album, a pu une fois encore goûter aux purs délices du métier de chanter. « Les duos, j’adore ça, dit-elle simplement. Le fait d’échanger, d’apprendre, d’entendre la vraie langue, la vraie façon d’interpréter ces musiques-là… Je sais bien qu’il y a une mode du duo, mais une fois encore je me suis uniquement basée sur mon plaisir. Et c’en est un de rencontrer ces chanteurs, de pouvoir les entendre et leur parler. »

La musique comme initiation permanente, invitation au gai savoir et incitation à la griserie des rencontres : telle pourrait être la devise de la terre d’asile poétique où Agnès Jaoui convie ses auditeurs. Le refrain de Dans mon pays le dit en quelques lignes lumineuses : « Ce pays n’est pas géographie/Pas même une esquisse/Il n’y a pas de voile obscur/Sur les futures affinités/On emprunte que ce qui peut se rendre augmenté/Bonjour à peine/Est inconnu/Dans mon pays ».

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